La mendicité des enfants est un phénomène largement observé dans certains pays de la sous-région ouest-africaine où elle a atteint des proportions inquiétantes. Au Sénégal, les enfants qui s’adonnent à la pratique de la mendicité sont appelés « talibés », ce qui signifie un apprenant sous l’autorité d’un maitre coranique.
C’est donc pour donner une éducation religieuse à leurs enfants que certains parents les envoient dans les écoles coraniques communément appelés daaras. Tenues par des maitre coraniques, ces écoles fonctionnent souvent de manière informelle mettant ainsi les enfants dans une situation de précarité et d’insécurité préjudiciables à leur santé. En effet, ces enfants talibés sont livrés à eux-mêmes. Ils sont dans les rues tous les jours de la semaine. Ils doivent pourvoir à leur propre besoin et doivent donc mendier pour rapporter quotidiennement de l’argent au maitre coranique.
Les autorités sénégalaises se sont engagées dans divers programmes et politiques de créations de daaras modernes, de modernisation de daaras traditionnels et de retraits des enfants de la rue. L’Etat a également tenté de durcir son arsenal juridique avec l’adoption d’une loi interdisant la mendicité (loi n 2005-06 du 10 mai 2005). Ces actions, bien que louables, demeurent faibles au regard de la persistance du phénomène. Les talibés mendient toujours et à longueur de journées dans les artères des grandes villes du pays.
Pour contribuer à la recherche de solutions pérennes, Amnesty International Sénégal met en oeuvre un projet de lutte contre la mendicité des enfants. C’est ainsi qu’un forum d’échanges sur la responsabilité des acteurs dans la protection des talibés s’est tenu le 14 janvier 2023 à Dakar. Pendant une journée, les maitres coraniques, les représentants de l’Etat, des organisations de la société civile et des dignitaires religieux ont identifié de nouvelles stratégies et actions pour assurer une réelle prise en charge de cette question.
Présidant la séance, Seydi GASSAMA, Directeur d’Amnesty International Sénégal a rappelé l’importance des droits de l’enfant consacrés dans des textes internationaux en matière de droits humains, de même que dans le Coran. Partie aux conventions relatives aux droits de l’enfant, le Sénégal a l’obligation de les intégrer dans son ordonnancement juridique par la prise de mesures concrètes.
Seydi GASSAMA a également relevé les efforts consentis par l’Etat pour une effectivité des droits des enfants talibés et incite les autorités à constater les manquements et à remédier aux problèmes qui entravent depuis bien trop longtemps la lutte contre la mendicité des enfants. Poursuivant, il souligne l’importance de la perception des daaras en général, notamment à l’échelle internationale où ils sont souvent mal vus. Il faut donc une nécessaire collaboration entre la société civile, les maitres coraniques et les autres acteurs impliqués.
Prenant à son tour la parole, Sambou Kolel SARR, inspectrice de l’éducation surveillée et de la protection sociale à la DESPS s’est réjouie de l’organisation d’une telle rencontre. Elle rappelle le rôle de sa direction dans le suivi de la condition infantile relativement à leurs droits intrinsèques et espère qu’après ces travaux de fortes recommandations permettront aux autorités de développer un regard serein sur la condition d’existence des daaras et leur prise en charge.
L’Etat des lieux des politiques a été présenté ainsi que le rôle joué par la société civile dans la lutte pour le respect des droits des enfants talibés. Cela a permis de déceler les forces et les faiblesses dans la lutte et de proposer d’autres actions pouvant aboutir notamment à l’adoption de la loi portant statut des daaras.
Les maitres coraniques à leur tour ont exposé les difficultés auxquelles ils sont confrontés dans la gestion des daaras. Les débats qui ont suivi ont tourné autour du projet de loi portant statut des daaras. La majeure partie des maitres coraniques sont favorables à l’adoption de la loi et manifestent leur souhait de revoir le projet de loi sur la table des pourparlers.
Aux termes de échanges, de fortes recommandations ont été formulées. Elles concourent notamment à :
- la mise en place d’un comité de gestion au sein des daaras afin de réguler leurs activités. Ce comité sera composé des ndeyu daara, des chefs de quartier, des autorités religieuses et autres acteurs.
- un renforcement, appui et soutien étatique envers les daaras et un renforcement des institutions en charge des daaras.
- un renforcement de capacités des maitres coraniques est également soulevé afin de leur donner des outils pédagogiques nécessaires à la formation des apprenants.
- une plus grande fermeté envers les individus qui se servent des daaras pour mener des activités douteuses tels que l’exploitation des enfants par la mendicité. Cette pratique porte atteinte à l’action des maitres coraniques qui s’engagent réellement dans cet activité.
Pour assurer une bonne prise en charge des droits des enfants talibés au Sénégal, il faut, en définitive, restaurer la confiance entre les acteurs impliqués dans la problématique.