La 50e ratification du Traité sur le commerce des armes obtenue
Le 2 avril 2013, après 20 ans de travail de pression et de campagne mené avec détermination par Amnesty International et les ONG partenaires, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté par un vote décisif le projet de Traité sur le commerce des armes (TCA). Aujourd’hui, ce traité est sur le point de devenir un texte de droit international, ce qui pourrait changer la vie de millions de personnes.
Brian Wood, spécialiste des questions d’armement à Amnesty International, explique comment les flux d’armes non réglementés détruisent des millions de vies et déciment des groupes de population, et pourquoi ce traité est historique.
Comment est venue l’idée d’un Traité sur le commerce des armes ?
Cette idée est née à la fin de l’année 1993 dans un bureau d’Amnesty International du centre de Londres, où trois autres représentants d’ONG britanniques et moi avons élaboré des propositions en vue de créer un instrument juridique pour stopper le commerce des armes qui contribue à des atteintes aux droits humains.
Dans les années 1920 et 1930, les puissances impériales avaient proposé un traité relatif au commerce des armes mais sans règle commune permettant de protéger les droits humains, si bien que leurs efforts ont échoué avant la Seconde Guerre mondiale.
Avec l’aide de juristes des universités de Cambridge et de l’Essex et de lauréats du prix Nobel de la paix, notamment Oscar Arias, notre action militante d’ONG s’est propagée de l’Europe aux Amériques, recueillant le soutien de John Kerry au Congrès des États-Unis.
À partir de 2003, la campagne de la société civile lancée par Amnesty, Oxfam et IANSA, un réseau international rassemblant plusieurs centaines d’ONG qui travaillent sur les armes légères, a pris une ampleur de plus en plus mondiale. L’appel en faveur d’un Traité sur le commerce des armes (TCA) comportant une « règle d’or » pour protéger les droits humains a commencé à faire l’objet de discussions au sein des Nations unies.
À quoi ressemble le commerce international des armes ?
Les détails de ce commerce sont souvent enveloppés d’une atmosphère de secret, mais la valeur officielle des transferts internationaux d’armes classiques avoisine les 100 milliards de dollars annuels ; en 2010, elle se situait aux alentours de 80 milliards de dollars, donc elle augmente rapidement.
Et si l’on y ajoute tous les services liés, tels que l’armée et le bâtiment, par exemple, on atteint 120 milliards de dollars.
À l’heure actuelle, une quarantaine de pays ont des capacités de production d’armements à grande échelle et environ 60 autres fabriquent des armes à plus petite échelle – plus de la moitié des 193 États membres des Nations unies produisent et fournissent des armes et des équipements militaires.
Ce commerce de matériel meurtrier ou dangereux n’étant toujours pas contrôlé strictement et soigneusement, des millions de personnes sont tuées, mutilées et maltraitées.
Combien de personnes meurent chaque année à cause des armes ?
On estime qu’environ 500 000 personnes sont tuées chaque année par arme à feu. Elles trouvent la mort sur les champs de bataille ou sont victimes de la répression de l’État ou des bandes criminelles.
Par ailleurs, plusieurs millions d’autres personnes dans le monde meurent de ne pas pouvoir accéder aux soins médicaux, à l’eau ou à la nourriture parce qu’elles sont piégées dans des conflits alimentés par la circulation non réglementée des armes. En République démocratique du Congo, par exemple, on estime que plus de cinq millions de personnes sont mortes de causes indirectes liées au conflit armé depuis 1998.
Et pour chaque personne tuée du fait des conflits et de la violence armée, nous devons considérer que beaucoup d’autres sont blessées, torturées, maltraitées, soumises à une disparition forcée, prises en otage ou privées autrement de leurs droits humains sous la menace d’une arme à feu.
Ce problème est colossal et il persiste, comme on le voit actuellement en Syrie, en Irak, en Libye et au Soudan du Sud. Dans de nombreux endroits du monde, le commerce irresponsable des armes peut détruire tôt ou tard tous les aspects de la vie et des moyens de subsistance des gens.
Quelles sont les personnes les plus touchées par la circulation non réglementée des armes ?
Les femmes sont particulièrement touchées, de manière souvent invisible et peu médiatisée. En Guinée, par exemple, nous avons eu l’exemple d’une femme qui avait été violée par un soldat tandis qu’un autre lui pointait son arme sur la tempe. Dans certaines situations, ce type de violence peut être généralisé.
On constate aussi des conséquences disproportionnées sur les enfants, les jeunes et les réfugiés. Dans certains pays, des mineurs sont recrutés dans les forces et les groupes armés et contraints de participer aux combats.
Qui est responsable de cette situation ?
Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies – les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni – sont les principaux exportateurs d’armes. L’Allemagne, Israël, l’Italie, la Suède, l’Afrique du Sud, l’Espagne, la Belgique et l’Ukraine sont aussi de grands marchands d’armes.
Parmi les principaux importateurs figurent l’Inde, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et d’autres pays d’Asie et du Moyen-Orient.
Et les entreprises, ne sont-elles pas aussi responsables ?
Certes, la majeure partie du commerce des armes est le fait d’entités commerciales, de sociétés qui les fabriquent, les achètent et les vendent, de prestataires de services militaires, de courtiers et de négociants ou encore d’intermédiaires qui transportent les armes et les financent.
Cependant, la responsabilité principale incombe aux États, qui revendiquent le droit de se défendre et ont le devoir de protéger leur population. Eux seuls peuvent réglementer ce commerce, en accordant ou en refusant des licences, et eux seuls peuvent interdire certaines armes inhumaines et imposer des embargos et des suspensions concernant les armes.
Le problème essentiel est que l’élaboration et l’application d’une réglementation relative au commerce des armes ne suivent pas le rythme des marchés mondiaux des armes, et la volonté politique d’y remédier manque cruellement.
Qu’est-ce que le Traité sur le commerce des armes et que peut-il changer ?
Le TCA est un traité international qui établit pour la première fois une règlementation internationale robuste pour que les armes n’arrivent plus entre les mains de ceux qui bafouent les droits humains.
Il contient un certain nombre de règles visant à arrêter la circulation d’armes, de munitions et d’autres articles liés à destination de pays où l’on sait qu’ils serviraient à commettre ou à faciliter un génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre ou d’autres atteintes graves aux droits humains. Chaque État doit évaluer le risque qu’une exportation d’armes vers un autre pays contribue à de graves atteintes aux droits humains et, le cas échéant, s’abstenir d’exporter ces armes.
Le Traité sur le commerce des armes fait-il partie du droit international ?
Presque. Pour devenir juridiquement contraignant, il doit être ratifié par 50 États. Au cours de l’année écoulée, 119 États l’ont signé. Cette semaine, nous avons atteint le seuil des 50 ratifications, grâce auquel le traité fera bientôt partie du droit international.
Qu’est-ce qu’une ratification ?
La ratification consiste pour un État à déclarer son consentement à observer les règles d’un traité et se fait en deux étapes. Dans un premier temps, l’État intègre les règles du traité dans sa législation nationale, ce qui nécessite généralement l’approbation du Parlement. Ensuite, il déclare consentir à observer les règles du traité à l’échelle internationale, en remettant des documents officiels aux Nations unies.
Que signifie vraiment le terme « entrée en vigueur » ?
Il s’agit du moment où les règles du traité prennent effet et où celui-ci devient juridiquement contraignant au titre du droit international pour tous les pays qui l’ont ratifié.
Le TCA entrera en vigueur 90 jours après sa 50e ratification. Celle-ci ayant eu lieu le 25 septembre 2014, le traité deviendra un élément du droit international le 25 décembre 2014.Une fois que le traité sera entré en vigueur, la principale difficulté consistera à veiller à qu’il soit correctement mis en œuvre, afin qu’aucun État n’autorise des transferts d’armes à destination de ceux qui commettent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, ou ne ferme les yeux sur les marchands qui fournissent des armes susceptibles d’être utilisées pour commettre de graves atteintes aux droits humains.
Qu’en est-il des États qui n’ont pas encore signé ou ratifié le TCA ?
La campagne ne s’arrête pas là. Amnesty International et les ONG partenaires maintiennent la pression sur les États en dénonçant des cas de transferts d’armes manifestement irresponsables et en demandant aux gouvernements d’intégrer les règles du traité dans leur législation nationale en le ratifiant. Amnesty International s’assurera également que les États mettent efficacement et rigoureusement en œuvre le TCA et surveillera la manière dont ils le font.
Est-ce que les principaux exportateurs d’armes mondiaux ont adopté le traité ?
Sur les 10 principaux exportateurs d’armes, cinq ont déjà ratifié le TCA : l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. Les États-Unis ont signé le traité mais ne l’ont pas encore ratifié. D’autres grands producteurs d’armes ont opposé une certaine réticence devant la ratification, notamment le Canada, la Chine, Israël et la Russie.
S’il est important que tous les principaux pays exportateurs d’armes soient parties au traité, il convient de souligner que bien plus de la moitié de tous les États ont déjà signé le TCA et que plus du quart l’ont ratifié en à peine plus d’un an, ce qui est rapide pour un tel traité international évoquant des questions relatives à la sécurité et aux droits humains. La société civile et les gouvernements « porte-drapeaux » de ce texte continueront de faire le maximum pour inciter les autres États à signer, et il est essentiel que les militants comme vous y contribuent le plus possible.
Comment peut-on garantir que les gouvernements vont respecter ce traité ?
Aux termes du traité, tous les gouvernements doivent présenter des rapports annuels faisant état de leurs transferts d’armes. Ils se réuniront régulièrement, ce qui leur donnera l’occasion de faire pression les uns sur les autres pour vérifier s’ils agissent de manière responsable. S’ils s’accusent mutuellement de violer le traité, ils peuvent solliciter un arbitrage ou une médiation. Pour l’heure, le traité ne dispose pas d’un système de contrôle indépendant, mais il peut être renforcé en temps voulu par le biais de modifications.
Pour la première fois, le TCA va créer une norme internationale que les gouvernements et la société civile pourront utiliser pour amener ceux qui vendent des armes ou des munitions de façon irresponsable à rendre compte de leurs actes. Il empêchera en outre les flux d’armes en direction de lieux où les atteintes aux droits humains sont fréquentes, en comblant les nombreuses failles qui permettent aux marchands d’armes et aux gouvernements peu scrupuleux d’agir impunément.
LES CINQ PLUS GRANDS MARCHANDS D’ARMES MONDIAUX
Chine
Les données sur le commerce des armes sont tenues secrètes mais ce pays représenterait environ 5 % du commerce mondial des armes classiques.
Principaux clients
Souvent des pays en développement dont le bilan en matière de droits humains n’est pas bon, notamment l’Algérie, l’Angola, le Bangladesh, l’Égypte, la Guinée, l’Indonésie, l’Irak, l’Iran, la Jordanie, le Kenya, la Libye, le Myanmar, le Pakistan, la République démocratique du Congo, le Sri Lanka, le Soudan, le Soudan du Sud et le Zimbabwe.
Transferts irresponsables
La Chine fournit des munitions et des armes légères au Soudan, où elles sont utilisées par les forces de sécurité et les milices au Darfour, ainsi qu’au Soudan du Sud et à la République démocratique du Congo. Elle a fourni des roquettes et des mines antichars à la Libye sous le régime de Mouammar Kadhafi, ainsi que des munitions, des grenades pour lanceurs, des mortiers et des obus de mortier au Zimbabwe.
États-Unis
Les États-Unis sont, de loin, le plus gros exportateur d’armes au monde ; ils sont à l’origine d’environ 30 % des transferts d’armes classiques (en valeur). Leur position sur le TCA est donc déterminante.
Principaux clients
Les États-Unis fournissent des armes à plus de 170 pays. Ils ont restreint les transferts d’armes en direction du Myanmar, de la Chine, du Sri Lanka, du Zimbabwe et des pays visés par des embargos sur les armes décrétées par les Nations unies. Ils ont cependant vendu des armes à des pays comme l’Irak, Israël, le Sri Lanka, Bahreïn, l’Égypte et le Yémen, où il existait un risque substantiel qu’elles soient utilisées pour commettre de graves atteintes aux droits humains.
Transferts irresponsables
Les États-Unis sont le principal fournisseur d’armes de l’Égypte et d’Israël, à qui ils vendent des armes lourdes ainsi que des armes de petit calibre, des munitions et des agents chimiques anti-émeutes, malgré la répression violente menée contre les manifestants. Ils ont également fourni des armes de petit calibre, des agents chimiques et des véhicules blindés à Bahreïn. Ils fournissent aussi des armes, une aide militaire et des formations aux forces de sécurité colombiennes, malgré les atteintes répétées aux droits humains qu’elles commettent.
France
La France est, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, régulièrement classée troisième, quatrième ou cinquième exportateur mondial d’armes classiques en valeur – derrière les États-Unis et la Russie.
Principaux clients
Singapour, les Émirats arabes unis, la Grèce, d’autres partenaires au sein de l’OTAN et des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, ainsi que d’autres pays francophones. Récemment, la France et la Russie ont inauguré une coopération en matière de défense et d’équipements navals.
Transferts irresponsables
La France est généralement favorable à des critères stricts pour les transferts d’armes, mais elle a fourni des armes à des pays où de graves violations des droits humains pouvaient être commises, comme la Libye sous le colonel Kadhafi, l’Égypte, Israël et le Tchad, ainsi que la Syrie entre 2005 et 2009.
Royaume-Uni
Le Royaume-Uni est, avec l’Allemagne et la France, régulièrement classé troisième, quatrième ou cinquième exportateur mondial d’armes classiques en valeur.
Principaux clients
Les États-Unis, l’Inde, l’Arabie saoudite, l’Afrique du Sud, d’autres partenaires au sein de l’OTAN et d’autres pays du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne.
Transferts irresponsables
Le Royaume-Uni est généralement favorable à des critères stricts pour les transferts d’armes, mais il a fourni des armes à des pays où il existe un risque élevé de graves violations des droits humains, comme le Sri Lanka. La législation britannique fait l’objet d’un examen à la lumière d’éléments attestant que les autorités ont fourni des armes de petit calibre, des munitions et des équipements pour véhicules blindés à la Libye lorsque le colonel Kadhafi était au pouvoir, ainsi que des armes de petit calibre à Bahreïn et des équipements destinés au maintien de l’ordre au Yémen.
Russie
La Russie est le deuxième plus gros vendeur d’armes au monde en termes de valeur des exportations ; elle exerce une grande influence sur les négociations autour du TCA.
Principaux clients
L’Inde, la Syrie, l’Algérie, le Myanmar, le Venezuela, le Soudan et de nombreux autres pays d’Afrique. En perte de vitesse dans plusieurs domaines technologiques clés, le pays cherche des partenaires de pointe et de nouveaux marchés.
Transferts irresponsables
Environ 10 % des exportations d’armes russes seraient à destination de la Syrie, faisant de la Russie le principal fournisseur d’armes de ce pays. Ces transferts incluent des missiles antichars et des avions de combat MiG. La Russie vend au Soudan des hélicoptères de combat utilisés pour attaquer des civils au Darfour et au Kordofan du Sud. Elle se positionne aujourd’hui comme un exportateur majeur d’équipements militaires à destination de l’Égypte. Selon certaines informations parues dans la presse, l’Égypte aurait signé un accord pour 2 milliards de dollars de matériel militaire, dont des hélicoptères. Cet accord, qui aurait été finalisé lors de la visite officielle du général al-Sisi à Moscou en février, serait financé par les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.