Dans le cadre de sa série de Conférences Ramadan 2025, la fondation Al Wafa Darou a invité le Directeur d’Amnesty International Sénégal Seydi GASSAMA à animer une conférence sur les droits humains au Sénégal. Autour du thème “Droits humains au Sénégal : historique, situation et perspectives“, la conférence a eu lieu le lundi 24 mars 2025à Darou Mouhty. Vous pouvez réécouter l’intégralité de la conférence en wolof sur ce lien
Seydi Gassama a d’emblée rappelé que l’Afrique de l’Ouest, marquée par de nombreux conflits dans les années 1970, a établi une charte visant à promouvoir la paix et la coopération économique entre les pays. C’est ainsi que la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) adopta un traité sur la circulation des armes légères et de petits calibres. Au niveau international, la communauté internationale entamait également un processus d’adoption d’un Traité sur le Commerce des Armes (TCA).
Dans cet effort de consécration des droits humains au niveau national, régional et international, Amnesty International Sénégal a toujours bénéficié du soutien de guides religieux. Engagée dans une campagne de ratification du TCA au niveau du Sénégal, les dirigeants d’Amnesty International Sénégal avaient approché feu Serigne Saliou Mbacké, alors Khalif Général des mourides. Son soutien public à cette campagne a été déterminante dans le processus ayant conduit à la signature et la ratification par le Sénégal de ce texte international.
Points clés de la discussion
Plus largement, Seydi GASSAMA a insisté sur le fait que le soutien des chefs religieux est indispensable à l’action d’Amnesty International Sénégal, car ils constituent des relais privilégiés entre la population et l’ONG. En raison du profond respect et de l’influence qu’ils exercent sur leurs communautés, leur engagement permet de faciliter la transmission des messages relatifs aux droits humains et d’encourager une prise de conscience collective. Sans leur implication, de nombreux changements sociétaux resteraient difficiles à mettre en œuvre.
Abordant diverses problématiques liées aux droits humains au Sénégal, Seydi GASSAMA a mis en perspective l’histoire constitutionnelle du Sénégal, depuis l’époque coloniale jusqu’à l’adoption de la Constitution actuelle, en insistant sur l’importance des textes internationaux, notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Il a notamment mis en exergue le fait que le Sénégal n’émet généralement pas de réserves lors des processus de négociation de traités et donc, en certaines occasions, l’application concrète de certains engagements internationaux fait défaut.
C’est notamment le cas en matière de protection des droits des enfants et des femmes. Si la convention internationale des droits de l’enfant stipule que la majorité est fixée à 18 ans et interdit le mariage avant cet âge, cette règle n’est pas respectée au Sénégal bien que le pays ait ratifié sans réserve cette convention.
Certaines pratiques traditionnelles également ne sont pas toujours conformes aux principes des droits humains et qu’il est dans l’intérêt des populations de les réformer. Le Protocole de Maputo consacre notamment la liberté des veuves de se remarier en dehors de la famille du mari si la femme le souhaite, la protection contre les violences physiques et sexuelles, la pratique de l’avortement en cas de viol ou d’inceste, etc. La ratification de telles lois reste cependant complexe au Sénégal.
Seydi GASSAMA a également abordé la question urgente des enfants dans les daaras, en appelant notamment à une meilleure régulation et reconnaissance des daaras de qualité afin d’assurer un enseignement coranique digne. “Tant que le Président de la République Bassirou Diomaye Faye ne mettra pas en place des mesures concrètes pour améliorer les conditions des enfants talibés, aucun changement réel ne pourra être revendiqué”. Il a d’ailleurs souligné que ce sujet avait été abordé directement avec le Chef de l’Etat lors de l’audience que ce dernier avait accordé à Amnesty International.
Il a conclu en rappelant que le Sénégal, riche en ressources naturelles (pétrole, mines et gaz), doit garantir à sa population un accès digne aux besoins fondamentaux tels que l’alimentation et l’éducation.
La contradiction n’est qu’apparente
L’intervention du Directeur d’Amnesty International Sénégal a suscité diverses réactions de la part des organisateurs. été suivie d’une contribution de la part des organide discussion a été suivie d’un échange enrichissant, mettant en exergue les différences, similitudes et incompréhensions entre des militants des droits humains et des religieux. Si des religieux ont pu considérer les droits humains comme la source de dégradation des valeurs, des militants des droits humains ont pu à leur tour considéré la religion comme un obstacle à la pleine jouissance de certains droits.
La présentation faite par Amnesty International a également montré qu’aucun des droits énoncés n’est étranger à la religion musulmane. Les droits humains et les normes religieuses ont ceci de commun qu’ils reconnaissent et protégent la dignité humaine. Il arrive également que les pratiques d’un pays à un autre, et la culture influencent la perception que se font les acteurs des droits humains.
L’universalité des droits humains a aussi été interrogée. Il est aujourd’hui admis que tous les droits humains ne sont pas universellement admis et donc d’un continent à une autre, et même sur le continent africain et d’un pays à un autre, les références peuvent différer. C’est d’ailleurs toute la pertinence de la technique des réserves que les pays peuvent émettre lors de négociations internationales.
Le discutant est également revenu sur la pratique de l’excision. Il a ainsi relevé le fait que cette pratique n’est pas unanimement validée par les oulemas musulmans et donc le fait qu’elle impacte négativement sur la santé de la femme devrait encourager à son abandon.
Pour le point spécifique de la mendicité et de la maltraitance des enfants talibés, la responsabilité incombe à l’Etat. La constitution du Sénégal énonce que l’éducation est un droit fondamental et chaque parent a le droit de choisir le modèle d’éducation qu’il veut pour son enfant. Il appartient dès lors aux pouvoirs publics d’assurer un accès égal et une meilleure qualité à l’enseignement coranique.
Il a conclu son intervention par le fait qu’en définitive, il n’y a pas de contradiction fondamentale entre les droits humains et la religion musulmane quant à la primauté de la dignité de la personne humaine. Les acteurs des deux bords doivent donc régulièrement se parler plus régulièrement.