Les autorités guinéennes ont constamment violé depuis 2019 les droits humains à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression, a déclaré Amnesty International dans un nouveau rapport documentant la répression continue des manifestations qui a fait plus d’une centaine de morts et des centaines de blessés graves, y compris des enfants, avec un accès insuffisant à des soins de santé adéquats et qui sont privés de justice et de réparation.
Le rapport « Une jeunesse meurtrie : Urgence de soins et de justice pour les victimes d’usage illégal de la force en Guinée » met en évidence les obstacles persistants aux soins de santé et à la justice rencontrés par les victimes d’usage illégal de la force par les forces de défense et de sécurité dans le contexte des manifestations contre la modification de la Constitution sous la présidence d’Alpha Condé, et depuis l’arrivée au pouvoir du Comité National du Rassemblement pour le Développement (CRND) en septembre 2021.
Amnesty International a précédemment documenté la répression entre octobre 2019 et juillet 2020.
« Depuis 2019, au moins 113 personnes ont été tuées et des centaines gravement blessées par des individus identifiés comme membres des forces de défense et de sécurité lors de manifestations. Malgré les promesses du CRND de s’attaquer à la problématique de l’usage excessif de la force sous Alpha Condé, y compris dans les cas d’homicides illégaux, cette situation extrêmement grave persiste, dans un contexte général de répression des voix dissidentes », a déclaré Samira Daoud, Directrice régionale d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et centrale.
Enfants et jeunes traumatisés
Sur un total d’au moins 47 personnes tuées lors de manifestations sous le CNRD à la date du 22 avril 2024, plus de 75 % avaient moins de 25 ans, et 40 % avaient moins de 18 ans, selon un décompte d’Amnesty International. Une grande proportion des personnes blessées interrogées pour le rapport sont également des enfants et des jeunes. Parmi eux, Elhadj Bailo Diallo, 16 ans, a été touché par une cartouche de gaz lacrymogène tirée par des personnes qu’il a identifiées comme étant des membres des forces de défense et de sécurité, et a perdu la vue de son œil droit. Thierno Madiou Diallo, également âgé de 16 ans, a été blessé par balle et a dû subir une amputation de la jambe. La plus jeune parmi les blessés était une fillette de neuf ans, touchée à son domicile par une balle perdue.
Le traumatisme psychologique pour ceux qui ont été blessés a obligé bon nombre d’entre eux à abandonner l’école et les a rendus inaptes au travail, comme Souleymane Diallo, qui a été blessé par balle en 2024. « La douleur persiste et je ne peux pas me tenir debout longtemps. Je reste au lit à regarder ma mère travailler pour joindre les deux bouts », a-t-il déclaré.
Les victimes empêchées d’accéder à des soins de santé adéquats
Le rapport démontre que les victimes de blessures graves infligées par les forces de défense et de sécurité lors des manifestations ont reçu des soins médicaux tardifs, après que ces dernières ont empêché ou retardé l’évacuation médicale, en violation du droit guinéen et international. Selon les témoignages recueillis par Amnesty International, les forces de l’ordre ont délibérément laissé sur place des victimes grièvement blessées au lieu de leur porter assistance. Des victimes ont également été arrêtées et détenues sans soins médicaux, parfois pendant plusieurs jours.
Mamadou Sadjo Baldé a été grièvement blessé lors d’une manifestation après avoir été heurté par un véhicule conduit par des personnes qu’il a identifiées comme étant des membres des forces de défense et de sécurité. « Après m’avoir heurté, ils sont descendus du véhicule, m’ont donné deux coups de pied, puis sont remontés dans le véhicule et sont partis », a-t-il déclaré à Amnesty International.
Selon plusieurs témoignages, certains membres du personnel médical des centres de santé publics et privés ont refusé de traiter les personnes blessées par crainte de représailles des autorités, qui ont constamment cherché à minimiser la répression.
Enfin, alors que les autorités doivent garantir le principe de l’accessibilité afin de protéger le droit à la santé, et en l’absence de toute indemnisation pour les personnes blessées, de nombreuses personnes issues de milieux modestes n’avaient pas les moyens de se payer des soins de santé adéquats, avec des conséquences souvent dramatiques. Parmi elles, Alpha Oumar Diallo, devenu paraplégique après avoir été blessé par balle lors d’une manifestation en 2019, est décédé en septembre 2023, n’ayant pas pu payer pour des soins adéquats.
Impunité des auteurs
Depuis 2019, il y a eu peu de condamnations de membres des forces de défense et de sécurité pour usage illégal de la force. Plusieurs procédures judiciaires ont été annoncées ou effectivement engagées par le CNRD, mais peu d’informations publiques sont disponibles sur leur évolution, et elles concernent principalement des cas d’homicides illégaux. Ceux qui ont survécu sont généralement privés d’accès à la justice et à la réparation.
Les blessés et les familles des victimes ont très majoritairement renoncé à déposer des plaintes, en raison de leur manque de confiance dans le système judiciaire, de la crainte de représailles ou du manque de moyens financiers.
À ce jour, les rassemblements sont toujours illégalement interdits, les forces de défense et de sécurité continuent d’être déployées avec des armes létales, et des morts et des blessés résultant d’usage illégal de la force continuent d’être recensés par des organisations de la société civile et les médias.
« Les autorités guinéennes doivent garantir les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, respecter strictement les principes du droit international sur l’usage de la force et des armes à feu par les forces de l’ordre et veiller à ce que toute personne blessée lors de manifestations soit prise en charge rapidement par les services médicaux, sans condition de paiement des frais médicaux à l’avance », a déclaré Samira Daoud