Les droits humains avant les profit des entreprises –
Déclaration du sommet des peuples pour le climat, les droits et la survie de l’humanité
I – Nous croyons en un monde où les personnes peuvent s’épanouir en tant que partie intégrante de la nature et où les droits humains – y compris les droits des peuples autochtones – et l’environnement passent avant les profits des entreprises, dans une ère où les personnes sont plus connectées entre elles et avec la planète. Nous voulons vivre dans des sociétés sûres, égalitaires, pacifiques et justes. Dans des sociétés où chaque personne et toutes les populations bénéficient de moyens d’existence justes, sûrs et durables ; participent à la prise de décision sur les sujets qui concernent leur vie, et ont accès à l’information et à la justice. Dans un monde où les biens communs sont protégés et gérés durablement par les communautés et où les gouvernements et les entreprises agissent de manière responsable et sont tenus de rendre des comptes pour les conséquences de leurs actes. Il nous semble que le moment est venu et qu’il est urgent de transformer nos systèmes économiques, sociaux, judiciaires et politiques pour garantir l’équité et la protection des droits humains ; mettre fin à la crise climatique et aux extinctions massives ; protéger l’avenir de nos enfants ; tenir les pollueurs responsables de leurs actes, et faire en sorte que les combustibles fossiles et toutes les pratiques commerciales non durables ne soient plus qu’un vestige du passé. Nous pensons que cette vision de l’avenir nécessite de protéger et soutenir les personnes qui souffrent des conséquences de la crise climatique et celles qui luttent en faveur de la justice climatique, et de faire preuve de solidarité avec ces personnes.
II – Nous reconnaissons que les atteintes aux droits humains, la discrimination et les inégalités actuelles trouvent leur fondement dans les comportements, les mentalités et les structures de pouvoir qui sont également à l’origine de la crise qui menace notre planète. Protéger les droits humains et préserver notre planète et son climat nécessitent que nous cessions de considérer les écosystèmes comme des marchandises et que nous acceptions le fait que la dignité humaine et les droits humains dépendent de toutes les manifestations de la vie.
III – Pour faire de la justice climatique une réalité, nous devons reconnaître que l’urgence climatique menace la survie de l’humanité, l’environnement et l’exercice de tous les droits fondamentaux, pour les générations actuelles et futures. Nous devons également reconnaître que bien que la crise climatique constitue un problème mondial qui touche tout le monde, elle affecte de manière disproportionnée les personnes, groupes et populations en situation de vulnérabilité qui voient leurs droits violés et subissent des formes de discrimination multiples et convergentes. La crise climatique touche aussi les pays de manière inégale. Cela donne lieu à une augmentation des conflits et de l’instabilité politique et provoque une insécurité alimentaire, des déplacements de population et des migrations. Nous devons défier les groupes opposés aux droits fondamentaux et les États qui prennent comme prétexte le dérèglement climatique et la nécessité de protéger l’environnement pour bafouer les droits humains.
IV – Nous condamnons l’incapacité des États à prendre des mesures adaptées pour atténuer le changement climatique, et en particulier les États qui sont les plus responsables de la crise et contrôlent le plus de ressources. Cet échec constitue une violation des obligations des États en matière de droits humains. De même, l’incapacité à prendre suffisamment de mesures efficaces pour renforcer la résilience face aux dommages du changement climatique, dans le pays et à l’étranger, perpétue ces atteintes aux droits humains – en particulier parmi les personnes qui sont marginalisées et sont moins en capacité de s’en sortir.
V – Nous sommes vivement préoccupé·es par le fait que des États continuent d’adopter et de promouvoir des politiques et actions climatiques défaillantes qui donnent lieu par la suite à des atteintes aux droits humains, souvent au détriment des personnes et des populations qui sont déjà les plus affectées par les conséquences du changement climatique, tout en étant celles qui sont les moins responsables de cette crise. Des mesures climatiques inadaptées et mal conçues peuvent conduire à l’adoption de fausses solutions ne réduisant pas les émissions de gaz carbonique, perpétuant une économie dépendante des énergies fossiles et exposant la population à des risques, ce qui impacte les droits humains – en particulier ceux des peuples autochtones et des autres personnes confrontées à la discrimination.
VI – Les États ont été complices de la perpétuation du changement climatique par les entreprises ; ils ont été généralement incapables de réglementer les activités des entreprises dans ce domaine et d’assumer leurs responsabilités pour les atteintes aux droits humains et les dommages causés à l’environnement, bien qu’ils soient tenus légalement de le faire. En effet, de nombreux États apportent leur soutien à des politiques, y compris des traités relatifs au commerce et à l’investissement, qui promeuvent des industries détruisant le climat et leur accordent privilèges, avantages et impunité.
VII – Nous reconnaissons que certains secteurs — en particulier l’industrie des énergies fossiles et l’agro-industrie à grande échelle – et ceux qui les soutiennent financièrement sont au coeur de la détérioration de notre climat. De nombreuses entreprises ont délibérément ignoré leurs responsabilités en matière de respect des droits humains, contribuant ainsi à la dégradation des droits fondamentaux de femmes, enfants, peuples autochtones, populations locales et autres groupes affectés de manière disproportionnée, et à la destruction d’écosystèmes sur toute la planète. L’industrie des énergies fossiles, en particulier, connaît les impacts de ses produits depuis des décennies, mais n’en a pas pour autant averti certains de ses investisseurs, le public, la population locale et d’autres parties concernées. Au contraire, cette industrie s’est livrée à une habile campagne de désinformation et de récusation du changement climatique. VIII – Nous réitérons que les États sont tenus du fait de leurs obligations relatives aux droits humains de veiller à ce que des réponses adaptées soient apportées à la crise climatique. Ces réponses doivent reconnaître les populations les plus marginalisées et affectées comme moteurs du changement et leur donner la priorité. Ce n’est qu’en honorant ces obligations que des actions plus efficaces, durables et équitables pourront être menées pour une transition vers la justice climatique.
IX – Les connaissances traditionnelles et la science nous montrent également que centrer sur les droits humains l’atténuation du changement climatique, l’adaptation et les politiques d’indemnisation pour les pertes et dommages causés par le changement climatique contribue à l’élaboration de réponses plus justes et efficaces, le tout donnant lieu à une ambition accrue en matière d’action climatique.
X – Nous nous inquiétons vivement de voir que les homicides, les violences liées au genre, les menaces, le harcèlement et la répression pénale des personnes qui défendent les droits humains liés à l’environnement se multiplient et restent souvent impunis. Nous prêtons une attention particulière aux personnes confrontées à des formes de discrimination multiples et convergentes, qui sont les plus exposées aux agressions et aux restrictions fondées sur le genre, la couleur de la peau et d’autres formes de discrimination, comme les personnes qui défendent les droits humains des femmes ou les droits des peuples autochtones ou d’autres populations et défenseur·es exclus et marginalisés. Nous défendrons contre la répression arbitraire et la persécution toutes les personnes qui manifestent pacifiquement et s’engagent dans des actions de désobéissance civile pour exiger une intervention en faveur du climat. Nous demandons la reconnaissance de l’importance du rôle que jouent les personnes qui défendent les droits humains liés à l’environnement dans l’élaboration de politiques, l’accès aux droits et les campagnes en faveur d’un développement durable.
XI – Il est possible et nécessaire de s’attaquer à la crise climatique. De nombreuses politiques et solutions techniques efficaces sont déjà connues et disponibles et peuvent être immédiatement mises en oeuvre. Il revient principalement aux gouvernements et aux entreprises de lancer les actions qui pourraient avoir un impact sur les facteurs du changement climatique et renforcer durablement la résilience et la capacité d’adaptation des populations. Nous allons renforcer nos actions en vue de mobiliser le mouvement des peuples le plus puissant, uni et divers jamais réuni. Une action en faveur du climat ayant de véritables effets ne sera pas possible sans le plein engagement de la société civile et de la population.
Pour faire de la justice climatique une réalité, nous, signataires de cette Déclaration, convenons de ce qui suit :
- Nous allons accroître nos efforts pour placer les droits humains au coeur du militantisme climatique. Pour cela, nous emboîterons le pas des peuples autochtones, des jeunes, des femmes, des personnes vivant dans la pauvreté, des personnes en situation de handicap, des personnes vivant de la pêche, de l’agriculture ou de l’élevage, des travailleurs et travailleuses, des populations locales et d’autres groupes touchés de manière disproportionnée, qui mènent la lutte contre les activités qui détruisent la planète et en faveur de la justice climatique.
- Nous exigerons des mesures immédiates, audacieuses, impulsées par la population, respectueuses des droits humains et d’une ampleur sans précédent pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et protéger ainsi les peuples, les écosystèmes et la biodiversité contre le dérèglement climatique. Ces mesures passent par la transformation de nos systèmes économiques, sociaux et politiques et nécessitent de remédier aux inégalités dans toutes les facettes de la vie. Ce changement implique une distribution équitable des ressources, en particulier en réduisant la consommation inutile de ressources par les groupes privilégiés. Il est primordial que nous parvenions à réduire rapidement nos émissions au niveau mondial et que nous parvenions à un futur sans énergie fossile pour réduire au maximum l’augmentation de la température, qui ne devrait pas dépasser 1,5 degré. Ceci est d’autant plus important que le niveau actuel du réchauffement climatique donne déjà lieu à des atteintes aux droits humains.
- Nous exigerons que les politiques, mesures et actions relatives au climat adoptées par les gouvernements respectent, protègent et mettent en oeuvre les droits humains, notamment le droit des personnes à être pleinement informées et à avoir la possibilité de véritablement participer aux prises de décisions concernant le climat. Nous demanderons aussi que les entreprises honorent leurs responsabilités en matière de respect des droits humains tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Nous nous opposerons à toute mesure de lutte contre le changement climatique ou de soutien à l’adaptation qui serait prise au détriment des droits humains ainsi qu’aux mesures qui augmenteraient les inégalités et provoqueraient appauvrissement, faim, dépossession et exclusion économique, sociale et politique.
- Nous accentuerons notre travail de pression sur les pays et les entreprises les plus responsables du changement climatique et disposant du plus de ressources. Nous demandons instamment que tous les pays fixent et fassent respecter des objectifs de réduction des émissions basés sur une évaluation scientifique et compatibles avec la protection des droits humains. Nous demanderons que ces objectifs soient atteints dans les délais fixés, ou avant. Nous nous opposerons à toute tentative visant à transférer la charge et la responsabilité de procéder à des changements depuis les pays fortement émetteurs vers les pays ayant moins de ressources et des émissions historiquement plus basses ; ainsi qu’à tout transfert depuis des groupes privilégiés et des entreprises vers des groupes moins privilégiés. Nous obligerons ceux qui sont les plus responsables de la crise à reconnaître leurs actions et à prendre des mesures en conséquence.
- Nous exhorterons les pays qui disposent du plus de ressources et qui sont les plus responsables du dérèglement climatique à fournir aux pays du Sud les moyens financiers et technologiques nécessaires pour faciliter la mise en oeuvre de leurs mesures ambitieuses en faveur de l’atténuation du changement climatique et de l’adaptation à ses effets. Nous demandons également que ces États donnent également des moyens adaptés – y compris sous forme de compensation – aux populations et aux particuliers affectés pour leur permettre de faire face aux pertes et dommages causés par la crise climatique, en consultation avec ces personnes et dans le respect de leurs coutumes et de leurs droits individuels et collectifs. Nous encouragerons la transparence et l’utilisation adéquate de ces ressources et nous opposerons à ce que ce soutien se traduise par de nouvelles dettes et charges financières.
- Nous nous élèverons constamment contre la mainmise des entreprises sur les politiques et les institutions et exigerons que les industries destructrices du climat et leurs soutiens financiers assument leurs responsabilités.
- Nous demanderons une transition juste, équitable et inclusive menant à l’abandon des combustibles fossiles et conduisant vers une agriculture durable et une énergie renouvelable qui, plutôt que de les exclure, renforcent le pouvoir d’action des peuples autochtones, des travailleurs et travailleuses, des personnes oeuvrant dans les secteurs de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche et des populations locales. Nous demanderons que des mesures soient prises pour que toutes les personnes aient accès aux ressources, aux formations, aux savoirs et aux emplois dignes nécessaires pour une transition menée par la population vers une société décarbonée et résiliente.
- Nous oeuvrerons en faveur de la protection, du respect et de l’accomplissement des droits des peuples autochtones, y compris leurs droits à leurs terres et territoires ancestraux. Nous chercherons à obtenir la protection, la reconnaissance et la promotion des savoirs locaux et traditionnels qui se sont révélés efficaces et appropriés pour faire face à la crise climatique et à rendre possible la transition et la résilience dont nous avons un besoin urgent au sein de nos systèmes alimentaires, toujours avec le consentement et au bénéfice des peuples autochtones.
- Nous demanderons un accès véritable à la justice pour les personnes et les populations dont les droits sont touchés par la crise climatique ou l’absence d’action climatique – ceci inclut les personnes confrontées à des dommages induits par le climat et celles dont les droits sont menacés par des déplacements en lien avec le climat. Nous oeuvrerons pour qu’elles aient accès à la justice et à de véritables voies de recours et que les responsables de dommages climatiques soient tenus de rendre des comptes. Nous utiliserons de manière proactive les instances et les instruments juridiques existant aux niveaux national, régional et international pour faire en sorte que les droits humains et les obligations dans ce domaine soient effectivement respectés pour promouvoir la justice climatique.
- Nous soutiendrons toutes les personnes qui défendent les droits humains liés à l’environnement, en particulier celles qui protègent individuellement ou collectivement leur territoire, leur accès à la terre, leurs moyens de subsistance et l’environnement et celles qui font campagne pour défendre les populations et la planète contre les activités destructrices et le dérèglement climatique. Nous exigerons un environnement sûr et favorable au sein duquel toutes les personnes qui défendent les droits humains, en particulier les personnes qui sont confrontées à des inégalités et des formes de discrimination multiples et convergentes, soient réellement protégées et puissent défendre et promouvoir les droits humains sans craindre de sanctions, de représailles ou de tentatives d’intimidation.